broutin_article.jpgChristian BROUTIN

Une œuvre de Broutin est reconnaissable à ce goût fascinant qu’il a pour les détails, et cette façon de peindre un ensemble avec ses minuscules composantes. D’autre part, ses représentations du réel sont poussées à un tel degré que nous acceptons comme normale l’intrusion d’éléments parfois déconcertants pour un esprit rationnel. Ses compositions, insensiblement, nous amènent à prendre conscience de mondes invisibles dissimulés derrière d’illusoires apparences. Cette perception que nous donne parfois sa peinture de mondes autres, à la fois ressemblants et mystérieux, provient souvent de variations infimes entre espace et temps. Il refuse la conception d’Aristote d’un univers fini, figé, et la soumission aux seules apparences qui se manifeste presque toujours dans la peinture figurative. Il nous donne plutôt à voir une nature plus ou moins familière dans laquelle se trouve simplement quelque élément énigmatique. D’où un “écart” qui nous dépayse et qui peut parfois nous entraîner dans une “sidération” comme, par exemple, celle pouvant survenir dans la vie par une nuit d’été soudain parcourue d’’étoiles filantes...

Assimiler Broutin aux Surréalistes, comme pourrait le faire hâtivement un regardeur, serait simpliste et inexact. “Surréaliste” n’est plus qu’un qualificatif - dont on abuse souvent à tort et à travers - qui, en fait, concerne très précisément un mouvement artistique daté et disparu depuis des décennies. Néanmoins, Broutin pourrait faire sienne cette déclaration d’un grand peintre surréaliste, historique, lui, René Magritte : “Mes tableaux sont des images. La description valable d’une image ne peut être faite sans l’orientation de la pensée vers la liberté.”

Toutefois, pour en revenir à Christian Broutin, la maîtrise technique et le métier ne suffisent pas pour faire une œuvre ; il faut aussi ce souffle créateur qui anime les artistes authentiques, cette “Nécessité Intérieure” pour reprendre l’expression de Kandinsky. À l’évidence Broutin possède ce don. Son inspiration aux thèmes souvent oniriques peut parfois sembler insolite ou mystérieuse à un spectateur pressé ; en fait, elle obéit à une logique invisible qui déroute seulement les esprits trop cartésiens. Cet imaginaire si personnel, donc unique, constitué pendant la prime enfance, ne se dévoile qu’à la longue à l’amateur véritable qui doit dépasser le “maxiréalisme” de certains tableaux, aller au-delà, pour y découvrir la sensibilité cachée et la naïveté au sens profond du terme, c’est-à-dire “la simplicité, la grâce naturelle empreinte de sincérité”. À toutes ces qualités s’ajoute enfin une dimension poétique, et ce n’est pas un hasard si c’est une femme poète, Andrée Chedid, qui a su le mieux parler de sa peinture et de ses “images si réelles, si rêvées”.

Georges Richar-Rivier