kainouarticle.jpgNacéra KAÏNOU - Un regard intense

Les bustes alignés sur les étagères de Nacéra Kaïnou forment une étrange famille : le voyageur Paul-Emile Victor voisine le poète Arthur Rimbaud et l’écrivain Jean Cocteau, placés juste en dessous de la figure imposante du père de l’artiste et d’une multitude de visages anonymes. Réveillés par la lumière matinale qui traverse la grande verrière de l’atelier, les regards de ces visages de bronze et d’argile dégagent tous la même force et intensité. On reconnaît les traits des personnages, mais ce qui frappe le plus, c’est leur présence. « Je les appelle souvent par leurs prénoms » confie Nacéra. Posant ses mains sur l’un d’eux, elle donne l’impression d’entretenir un dialogue silencieux avec ses modèles.

Nacéra Kaïnou est un sculpteur aujourd’hui reconnue : elle est notamment l’auteur du buste de Théodore Monod, « ma première commande publique », visible dans les jardins du Muséum national d’histoire naturelle à Paris, à l’Institut de France, au Sénégal et en Mauritanie. Les francs comtois la connaissent également pour le buste de Louis Pergaud, remis chaque année au lauréat du prix littéraire du même nom. Originaire de Meussia, Nacéra garde de solides attaches jurassiennes, dans la région de Clairvaux-les-Lacs, « j’ai toujours ma famille là-bas. Et puis nos forêts et nos montagnes sont tellement belles… j’ai souvent besoin d’y retourner ».

Trois années à New-York

Aux Beaux Arts de Besançon, elle découvre la peinture et se passionne pour la gravure en noir et blanc avec Georges Oudot, « je ne faisais pas encore de sculpture, mais je me rends compte aujourd’hui que j’allais tellement loin dans les contrastes avec la gravure, que l’étape suivante ne pouvait être que le passage aux volumes ». C’est à New York, où elle s’installe en 1989, que Nacéra Kaïnou commence véritablement la sculpture, « C’est apparu comme une évidence. J’ai passé un concours pour une école d’art professionnelle, j’ai suivi une formation très classique pendant trois années ». Dans la ville verticale et multiculturelle, la jeune jurassienne apprend avec un professeur italien les techniques de taille directe dans le marbre et de modelage avec de la terre.

Entre force et beauté

Après un bref passage à Besançon, Nacera est venue s’installer à Paris, non loin de la porte de la Villette dessinée par un certain Claude-Nicolas Ledoux, et mène parallèlement une carrière de peintre et de sculpteur, « je m’évade avec la peintre, je cherche à approcher la ressemblance, ou la vraisemblance du modèle avec la sculpture ». Mais ce qui lui plait par dessus tout, ce sont les rencontres, « il existe des millions d’individus et pas une personne n’a le même visage, la même histoire.  J’aime les visages qui racontent des choses, le rapport entre le physique et la personnalité. En sculpture, tout est en équilibre, quand j’enlève un peu de terre sur le menton, je suis obligée d’en remettre ailleurs ». Nacéra aussi a trouvé un bel équilibre entre son immense talent et sa grande humanité, ses œuvres en sont la plus belle preuve.

Samuel Cordier