Christian
LEPERE
Christian Lepère
n'est pas de Bretagne, il se croit parisien. Un parisien pétri d'un Morvan,
hanté d'une Bretagne légendaires, impalpables — et qui ont contribué à ciseler
ce « paysage intérieur » dont chaque gravure n'est qu'une infime particule.
La richesse des
cuivres procède de la profusion re-créatrice de l'esprit (ou du coeur?) du
démiurge. D'emblée, ses fantasmagories nous semblent familières: elles
ressuscitent en effet un univers en jachère au fin fond de notre cervelle
ripolinée par des siècles de classicisme et de subordination au réel. Lepère,
c'est le fils prodigue d'Andersen, de Dodgson, de Tolkien, le munificent
révélateur de notre inconscient bousculé — et qui ne demande qu'à décadenasser
ses arachnéennes flamboyantes.
Se diapre de
sortilèges un univers animé par des fées malicieuses — ou malignes; par des
farfadets et des korrigans grimaçants — ou hilares; par des « créatures » à
mi-chemin du robot et du bigouden.
Impossible de
qualifier convenablement une oeuvre qui frappe par sa luxuriance et sa
diversité. Des constantes? Sûrement un souci obstiné de précision, de
quasi-minutie. Non par goût irréfréné du remplissage, mais par joie de faire
chanter le cuivre, et de gorger d'encres et de nuances les plus subtiles le
support papier. Constante moins formelle, la générosité. Générosité de Dame
Nature: touffeur du végétal, ampleur de la mer, opulence des nuages. Sans
omettre l'alacrité, la grande santé des femmes — dont la mutine présence
soulève des ondes d'allégresse devant la païenne soif de vivre qu'elles
symbolisent.
L'univers inspiré
de Lepère n'est pas chimérique. C'est la renaissance juteuse de notre
mythistoire, c'est la résurgence de ce qui aurait pu être — et dont nous
conservons l'attendrie nostalgie. D'où les affinités qu'un celte ressent avec
cette fiction endiablée, printanière, amoureuse et, toujours, aventureuse.
Simplement le coracle de Brendan et ses compagnons a ici femmes à bord. Ce
monde envoûtant télescope celui de nos lectures et de nos imaginations
«gothiques»: c'est Viviane, c'est Merlin, c'est Yseult ou Dahud; ce sont nos
korrigans, gnomes et leprécaunes. Ce sont nos ciels jamais assouvis, nos mers
charnellement attirantes, nos titanesques chaos granitiques et, par-dessus
tout, un charme qui nous aimante vers ces territoires reconnus et inviolés «que dans
une autre existence peut-être»... Et le vertige communiqué est une bien douce
drogue.
Jean-Louis PRESSENSE